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Mordue de serpents : Katja Claus attrape des vipères depuis déjà 35 ans

Professionnellement, Katja Claus s’occupe des écoducs, tunnels et autres aménagements permettant aux animaux de circuler entre les paysages morcelés de la Flandre. Mais ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est passer du temps parmi les vipères péliades du Groot Schietveld. Depuis 1986, elle se passionne pour ce serpent, la seule espèce venimeuse présente en Belgique.


Biologiste de terrain bénévole

Le Groot Schietveld tremble régulièrement sur ses bases, lorsque les terrains sont utilisés par les troupes d’artillerie de l’armée belge. Mais lorsque les armes se taisent, le site retrouve rapidement son calme. Ce vaste domaine naturel de la Campine du Nord - une succession de landes sèches et humides, de marais, de prairies de fauche et de forêts - abrite de nombreux animaux, des murins des marais et tritons crêtés aux azurés des mouillères, et plus d’une centaine d’espèces d’oiseaux nicheurs.

 

Le Groot Schietveld, l’une des rares zones de landes non colonisées par des exploitations agricoles et des forêts de conifères, est également un terrain de jeu idéal pour la plus importante population de vipères péliades de Belgique. Des milliers de vipères se cachent ici dans les bruyères. Dans leur sillage, six bénévoles passionnés étudient de près cette population de serpents. Parmi les membres de ce groupe de suivi des vipères, Katja Claus est celle qui a la plus grande ancienneté : depuis 1986, elle part régulièrement sur le terrain pour repérer, attraper et étudier ces bestioles qu’elle affectionne tant.


Le Groot Schietveld est un terrain de jeu idéal pour la plus importante population de vipères péliades de Belgique. Des milliers de vipères se cachent ici dans les bruyères et entraînent dans leur sillage six bénévoles passionnés.

À ses côtés, nous partons à la découverte du « Marum », une parcelle de nature ouverte au public et séparée du Groot Schietveld par la N133. Le domaine militaire est, quant à lui, interdit aux promeneurs et accessible uniquement aux militaires et aux bénévoles munis d’une autorisation. Nous traversons une zone boisée, jusqu’à ce que Katja s’engouffre soudain dans les fourrés. De l’autre côté des buissons, hors de vue des promeneurs qui empruntent ce chemin, la nature dévoile un tout autre visage.

 

Nous découvrons une bande de lande sauvage, un biotope qu’affectionne particulièrement la vipère péliade (Vipera berus). Des zones dégagées alternent avec des myrtes et quelques petits pins disséminés ici et là. Les gestionnaires du site les arrachent chaque année pour éviter que cette étendue de bruyère ne soit colonisée par les conifères, déjà très nombreux en Campine. « C’est un habitat typique de la vipère péliade », admet Katja. « Les vipères se plaisent dans les landes humides. Lors des hivers humides, vous avez ici de l’eau jusqu’aux chevilles ».



Plutôt lande que forêt

Katja inspire et expire profondément, savourant ce moment de plénitude. Comme son sujet d’étude, Katja affectionne tout particulièrement cet endroit. Depuis toute jeune, elle adore ce type de paysages ouverts. Elle tient cela de son père, qui a grandi non loin de la lande de Kalmthout. Durant son temps libre, il l’emmenait dans cet endroit qui lui rappelait son enfance. « Il adorait la lande de Kalmthout », explique Katja. « Dès que j’ai pu marcher correctement, nous allions régulièrement nous y promener. » Enseignant, il lui inculqua les principes fondamentaux de l’écologie, un cours accéléré qui influença sans doute la future biologiste dans le choix de son métier.


BON À SAVOIR : La lande de Kalmthout est une zone de silence officielle. La Flandre et la Wallonie abritent d’ailleurs de nombreux autres lieux de quiétude où vous pourrez pleinement vous ressourcer. Les havres de paix à découvrir absolument.


Mon père adorait la lande de Kalmthout. Dès que j’ai pu marcher correctement, nous allions régulièrement nous y promener.


Elle n’aime pas trop la forêt, trop dense à ses yeux. Elle préfère les landes à bruyère. « Les animaux, les insectes, la végétation : tout cela m’attire. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert que le site abritait également de nombreux reptiles. » Car Katja n’a pas toujours été mordue de serpents. Sa thèse portait sur un autre reptile : le lézard vivipare. Elle étudiait plus particulièrement ses réactions face à l’odeur des vipères, ses prédateurs, qu’il capte avec sa langue.

 

Pour sa thèse, elle attrapait avec d’autres chercheurs des serpents dans le Groot Schietveld. Ils étaient ensuite placés à des fins scientifiques dans un terrarium durant une nuit. Le lendemain matin, les serpents étaient retirés de leur terrarium et des lézards y étaient introduits, un par un. « Ils réagissaient de façon étrange. Certains se déplaçaient avec des mouvements saccadés, d’autres se figeaient ou tiraient la langue. Nous notions leurs réactions », explique Katja. « Un biologiste doit bien s’occuper de quelque chose, pas vrai ? »

 

À cette époque, Katja n’était pas spécialement intéressée par les reptiles. Et les lézards ne la font pas vraiment changer d’avis. Mais les vipères lui semblent immédiatement de « fascinantes créatures ». Ses travaux de recherche l’amènent à s’intéresser au Groot Schietveld. Elle rencontre André Van Hecke, qui mène ici depuis de nombreuses années des études sur les vipères. Il l’emmène avec lui et lui apprend beaucoup de choses sur ces animaux. Dès lors, la vipère ne la lâche plus.

 

La réalisation d’une thèse de doctorat s’avère vaine - les moyens de l’époque ne permettent pas d’équiper les vipères de petits émetteurs, et encore moins de les suivre - mais elle se découvre une nouvelle passion. Désormais, elle combine son travail de biologiste pour les autorités flamandes avec des expéditions régulières sur le terrain à titre bénévole, pendant ses congés et durant les week-ends. « Pour certains, cela peut prendre l’allure d’une passion dévorante, mais leurs activités me semblent tout aussi étranges », dit-elle en souriant.


Pour certains, cela peut prendre l’allure d’une passion dévorante, mais leurs activités me semblent tout aussi étranges.

Qui est Katja Claus ?

Âgée de 57 ans

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Vit à Merksem, dans la province d’Anvers

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Cette biologiste mène depuis près de 35 ans des études de terrain sur la population de vipères au Groot Schietveld

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Elle travaille sur les stratégies de défragmentation des paysages au Département Environnement de l’Autorité flamande


Plus rapide que son ombre

« Pour détecter les serpents, ce n’est pas la peine de fournir beaucoup d’efforts », dit Katja en riant. « Ils lézardent souvent au soleil près d’un fourré ou d’un buisson. Logique, car dans les zones ouvertes, ils sont exposés aux attaques des rapaces. » Elle nous dévoile sa tactique : bien regarder où on met les pieds pour ne pas marcher dessus, puis scruter attentivement les alentours. Lorsqu’elle attrape des vipères, Katja a toujours un brin d’herbe à la bouche. « Comme Lucky Luke », explique Katja.

 

Et visiblement ça fonctionne. À l’instar du cow-boy qui tire plus vite que son ombre, Katja attrape rapidement une vipère. Elle tient le serpent entre ses mains avant même que nous ayons le temps de l’apercevoir. « Il ne faut pas hésiter un instant, car les vipères sont très craintives dans cette zone. Nos collègues en Angleterre et aux Pays-Bas ont le temps de prendre quelques photos, mais nous n’avons pas ce luxe ici. »


À l’instar de Lucky Luke qui tire plus vite que son ombre, Katja attrape rapidement les vipères.

Il s’agit d’une femelle gestante. Katja palpe doucement son ventre et compte huit bébés serpents. La vipère ne pond pas d’œufs : elle est vivipare. Katja note les coordonnées GPS de sa prise et photographie la tête de l’animal. L’écaillure de la tête est unique à chaque individu, elle pourra donc vérifier depuis son ordinateur si ce serpent est déjà repris dans la banque de données. Certains spécimens reçoivent même un nom : Suzette, Black Marcel, Nestor, etc.

 

Ensuite, Katja pèse et mesure l’animal. Pour ce faire, elle dispose de quatre tubes de différentes tailles. « Ainsi, la vipère ne peut pas se retourner. Ce serait dangereux, car nous retirons alors souvent nos gants. » Katja n’a été mordue qu’une seule fois depuis près de 35 ans. Sa main était très enflée, mais elle a heureusement pu quitter l’hôpital après une courte période d’observation de quelques heures. « La morsure avait été infligée par un subadulte (un individu qui n’a pas encore atteint le stade adulte, NDLR), la quantité de venin était donc limitée », précise-t-elle.

 

Son collègue Dirk a eu moins de chance. Après avoir été mordu par un serpent adulte, il fut pris de fortes nausées et fut incapable de prendre sa voiture pour se rendre à l’hôpital. Il passa la nuit à l’hôpital. Pour un adulte en bonne santé, les morsures de vipères ne sont pas mortelles. L’injection d’un antivenin n’est pas toujours nécessaire ; il suffit de prendre des médicaments contre les nausées et le gonflement. La morsure reste quand même désagréable, selon Katja. « Mais ce n’est rien en comparaison des créatures qu’on croise dans le sud de l’Europe. »



Le bonheur d’être seule dans la nature

Si Katja étudie les vipères, ce n’est pas seulement parce que ces animaux la fascinent, mais aussi pour passer du temps dans la nature. Certains jours, elle ne trouve aucun serpent, mais ce n’est certainement pas du temps perdu. « On fait toujours de belles découvertes - un chevreuil, un renard ou un joli papillon », dit-elle. « Surtout si vous êtes seul : vous êtes plus attentif à tout ce que vous voyez et entendez. Dans le Marum, j’aperçois presque toujours des chevreuils. Mais je n’ai jamais vu un renard quand je m’y promène en compagnie d’une autre personne. »


Certains jours, elle ne trouve aucun serpent, mais ce n’est certainement pas du temps perdu. « On fait toujours de belles découvertes - un chevreuil, un renard ou un joli papillon. »

Elle apprécie les moments de solitude dans la nature. Elle part généralement toute seule, même lorsqu’elle ne collecte pas de données sur le terrain. Elle se rend alors tôt le matin dans la lande de Kalmthout, avant l’arrivée des premiers randonneurs. « J’en profite alors pleinement. » Bien qu’elle soit, selon ses dires, une grande bavarde, Katja peut passer des heures à profiter de la nature. Son smartphone reste alors au fond de son sac à dos. Elle n’écoute pas non plus de musique. « Quand on se promène, on n’a pas du tout besoin de ça. Les bruits de la nature et les chants des oiseaux suffisent. »

 

Ses escapades dans la nature constituent le meilleur antidote contre le rythme effréné de son travail de bureau auprès des autorités flamandes, contre le stress, les tensions avec les collègues et les trajets vers Bruxelles. En tant que biologiste, elle travaille sur les stratégies de défragmentation des paysages au sein du Département Environnement de l’Autorité flamande. Plus simplement, il s’agit de relier entre elles les zones naturelles grâce à différentes infrastructures, telles que des écoducs et des tunnels pour amphibiens, pour que les animaux puissent se déplacer sans se faire écraser.

 

« Sur le plan du contenu, ce travail me plaît énormément », déclare-t-elle. « Je suis amenée à collaborer avec des constructeurs routiers et des personnes de l’Agence flamande Nature et Forêts, ce qui me permet d’aborder ces questions tant du point de vue technique qu’écologique. Mais je ne passe pas assez de temps dehors. Les visites de terrain sont très rares. Cela me manque beaucoup, et je me rattrape donc pendant les week-ends. Après toutes ces années, je préfère de loin pratiquer mon métier sur le terrain. »


Superwomen

De retour chez elle, les informations sont collectées dans une banque de données. Katja et ses collègues « chasseurs de vipères » ont beau exercer cette activité à titre bénévole, ils n’en prennent pas moins leur travail très au sérieux. Ils suivent un protocole clairement établi et leur banque de données leur permet de rédiger des articles scientifiques. « Il est important que ces données soient utilisées. Ces articles peuvent mener à des actions de gestion et de conservation. »

 

D’autant plus qu’il s’agit d’un animal fabuleux. Les vipères sont des animaux à sang froid qui ne savent pas réguler leur température corporelle. Contrairement aux êtres humains, qui doivent se nourrir très régulièrement pour maintenir leur corps à une température constante. Ce n’est pas le cas des vipères. « Elles peuvent se contenter de quelques proies par an », explique Katja. « La femelle gestante que j’ai attrapée tout à l’heure passera même l’été sans manger ». Au fil de leurs découvertes, les scientifiques comprennent mieux le fonctionnement de nombreux mécanismes et approfondissent leurs connaissances des populations. Il est désormais clairement établi que ces animaux ont besoin d’espace, de temps et d’un paysage varié.

 

Le groupe de bénévoles fait également des découvertes sur la période de gestation des femelles. « Les femelles se reproduisent en général tous les deux ans. Profondément affaiblies, elles ont besoin d’un an pour récupérer », explique Katja. Un congé de maternité, en somme ! En moyenne, une femelle ne se reproduit que 1,3 fois dans sa vie. De nombreuses femelles ne se reproduisent donc qu’une seule fois dans leur vie. Ou pas du tout. « Les supermamans, en revanche, parviennent à se reproduire presque tous les ans. Elles n’attendent pas une année. Ce sont ces « superwomen » qui assurent le maintien des populations. »


Souvent, Katja parcourt la lande au petit matin, lorsque la rosée scintille encore sur les toiles d’araignée tissées entre les myrtes, en attendant que le soleil attire les serpents hors de leur cachette.



En parlant de superwomen... À nos yeux, Katja fait également partie de cette catégorie de femmes. Tout le monde ne parcourt pas la lande au petit matin, lorsque la rosée scintille encore sur les toiles d’araignée tissées entre les myrtes, en attendant que le soleil attire les serpents hors de leur cachette. Tout le monde n’a pas le plaisir de voir les vipères s’étirer pour emmagasiner un maximum de chaleur. C’est un privilège qui n’appartient qu’aux biologistes de terrain, toujours aux premières loges pour s’émerveiller devant les miracles de la nature.


Trois questions sur les vipères

1. Où peut-on rencontrer des vipères péliades en Belgique ?

Le Groot Schietveld abrite la plus grande population de vipères. On trouve également de plus petites populations dans la « Visbeekvallei », près de Lille, et dans la lande de Kalmthout. Ces dernières ont toutes été introduites. En Wallonie, les populations sont morcelées en petites unités.

 

2. Sont-elles dangereuses ?

Trois espèces de serpents ont été recensées en Belgique : la vipère, la couleuvre à collier et la coronelle lisse. Seules les vipères sont potentiellement dangereuses. La bête n’attaque jamais spontanément, mais elle peut mordre si elle se sent en danger. « Il ne faut pas sous-estimer la dangerosité de son venin, mais elle mord uniquement lorsqu’on l’attrape », dit Katja. « Vous ne craignez rien si vous ne tentez pas de la toucher. » Les gens surestiment aussi leur taille, estime-t-elle. Ils pensent qu’une vipère mesure plusieurs mètres de long et qu’elle est aussi épaisse qu’un cobra. C’est totalement faux. « Les vipères sont petites et très peureuses. C’est une espèce difficile à observer. »

 

3. Que faire si on croise une vipère ?

La vipère est une espèce protégée, il faut donc la laisser tranquille. Ne vous lancez pas à leur recherche. Dans le Marum, la plupart des promeneurs n’aperçoivent jamais de vipère. « Si vous surprenez une vipère sur votre chemin, arrêtez-vous, regardez-la et laissez-la passer », conseille Katja. Et profitez de ce moment rare : tout le monde n’a pas la chance d’en voir. Ne paniquez donc pas : « Les vipères préfèrent la fuite à l’affrontement. Et oui, les randonneurs doivent davantage se méfier des tiques que des serpents... »

 

Envie d’en savoir plus sur la vipère péliade ? Sur le site Natagora, vous trouverez les réponses à toutes vos questions.

 


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